L’équilibre des forces ou les rapports des forces est en faveur de l’affaiblissement de la dictature d’Ortega-Murillo. Cependant, s’il y a une leçon à tirer du moment présent, c’est à quel point ces pronostics peuvent être changeants et à quel point la conjoncture peut facilement se retourner contre nous si une véritable opposition n’adopte pas la stratégie de pousser le régime à l’IMPLOSION et si elle continue à se comporter de manière irrationnelle sans mettre en place une unité contre la dictature. Ensemble, nous sommes la majorité, ensemble nous sommes plus forts.
Dans les milieux politiques et militaires alliés à la dictature, il est courant de parler de «rapport des forces», c’est-à-dire de la composition des forces: l’armée, la police, les paramilitaires et la base sociale traditionnelle qui sont opposés au mouvement social insurgé ayant eu un caractère pacifique [initié en avril 2018]. Ces milieux pensent qu’ils disposent d’atouts supérieurs, suffisants pour gagner la bataille sociopolitique contre la véritable opposition. Sur la base de ce raisonnement, la dictature et ses alliés supposent qu’ils ont un avantage écrasant leur permettant d’abattre le mouvement social.
Bien sûr, entre 2018 et 2022, les choses ne se sont pas passées ainsi. Le régime a, en effet, combattu le mouvement social en élevant les niveaux de répression, mais cela l’a isolé de la communauté internationale avec des effets collatéraux sur sa base sociale traditionnelle. Cela le contraint à essayer de contrôler la fuite à l’étranger de fonctionnaires de différents niveaux.
Les raisons de cette situation – soit l’incapacité à annihiler l’esprit combatif de la population auto-convoquée – est le résultat de l’inaptitude de la dictature à prêter attention aux facteurs intangibles (immatériels) qui limitent l’analyse, qui se base uniquement sur sa vision de «l’équilibre des forces». Pour la dictature, la conception de l’équilibre des forces est un concept «scientifique», basé sur l’évaluation de facteurs matériels (nombre de forces militaires et de paramilitaires).
Cependant, les facteurs intangibles de la lutte sociopolitique font que le plus faible des deux belligérants, mesuré en termes conventionnels, peut l’emporter sur le plus fort si ses militant·e·s disposent d’un meilleur moral, d’un soutien plus fort dans le pays, d’un appui d’alliés importants sur le plan international, et si ses dirigeants conçoivent la bonne stratégie de combat.
Mais la notion plus simpliste de l’analyse du «rapport des forces» prévaut encore aujourd’hui dans la pensée militaro-politique et stratégique des cercles du pouvoir. Lorsque le régime est devenu une dictature institutionnalisée sous la direction d’Ortega-Murillo, le concept de «rapport des forces» est devenu un article de foi, fondé sur la conviction que la victoire finale revient à celui qui a le plus d’armes et de troupes. Les membres du cercle interne du pouvoir ont ignoré les facteurs intangibles, une vulnérabilité qui n’a pas été exploitée par la véritable opposition afin de pousser et d’accélérer le processus d’IMPLOSION de la base de soutien du régime.
Le changement au sein du «rapport des forces» laisse présager la chute de la dictature
Lorsque la répression déclenchée par le régime a réussi à geler le mouvement social, elle a fait croire aux membres des cercles restreints du pouvoir (militaires et fonctionnaires) que le rapport des forces à l’échelle nationale avait tourné en leur faveur. Or, aujourd’hui, grâce aux efforts et à la résilience des différents secteurs des mouvements sociaux, nous avons des raisons d’être assez certains que le «rapport des forces» tourne en faveur de la chute de la dictature, via une IMPLOSION sociale.
Dans l’épilogue du roman épique Guerre et Paix de Léon Tolstoï, qui évoque l’invasion désastreuse de la Russie par Napoléon en 1812, l’auteur observe que les guerres (c’est-à-dire les luttes politiques et sociales) ne sont pas gagnées uniquement par les qualités de stratèges supérieurs ou de dirigeants charismatiques, ou par le nombre de forces militaires, mais par la combativité de simples militants qui décident d’affronter et de résister face à un ennemi détestable (la dictature d’Ortega-Murillo).
C’est la raison pour laquelle, au-delà des stratégies malavisées des dirigeants politiques traditionnels, le mouvement social n’a pas été complètement abattu et l’esprit de lutte contre la dictature d’Ortega-Murillo demeure, ce qui explique que le régime maintienne la fermeté dans la répression par crainte de nouvelles protestations sociales et pour éviter l’effondrement des piliers de la dictature.
L’échec de la stratégie répressive d’Ortega-Murillo
L’échec de la stratégie de répression aveugle mise en œuvre reflète l’incapacité de ceux qui l’ont conçue et exécutée à évaluer correctement le poids respectif de tous les facteurs en jeu: le moral des citoyens et citoyennes n’est pas englouti par les niveaux de répression, la chute du soutien à la dictature s’est reflétée dans les résultats électoraux de noviembre 2021 [des élections strictement contrôlées], les effets d’un isolement international accru, etc.
L’erreur de calcul d’Ortega-Murillo ayant trait au succès de la répression s’est manifestée par son incapacité à évaluer correctement ses effets négatifs sur la population fragilisée, affectant le rapport des forces. Et cela résulte d’une mauvaise interprétation par Ortega-Murillo de la signification du flux et du reflux du mouvement social. Ortega-Murillo et son entourage étaient donc convaincus que le régime pouvait agir avec une relative impunité, ce qui était une erreur importante d’appréciation de la situation internationale.
Comme résultat partiel de cette interprétation erronée de la réalité, la dictature est déjà, de fait, affaiblie, même si l’opposition n’a pas eu la capacité stratégique de mobiliser à nouveau les citoyens auto-convoqués. A partir de là s’affirme la nécessité de changer de stratégie et de favoriser l’IMPLOSION du régime.
Défaillances des services de renseignement du régime
Nous savons également qu’Ortega et Murillo ont manqué, en raison de défaillances des services de renseignement, d’appréhension réaliste de la situation effective: les hauts responsables des services de renseignement de la dictature leur ont fourni des informations inexactes sur la capacité de résistance des citoyens auto-convoqués, ce qui a contribué à convaincre Ortega-Murillo que les véritables forces d’opposition sociale et politique se rendraient et cela après seulement quelques mois de résistance à la répression.
Ortega-Murillo et leur cercle proche découvrent que le manque d’évaluation correcte des facteurs intangibles peut conduire à des résultats désastreux. Ils ont également gravement sous-estimé l’ampleur de la réaction de la communauté internationale face à la répression et aux violations des droits de l’homme. L’opinion publique est contre le maintien au pouvoir de la dictature Ortega-Murillo.
Que faut-il faire?
Dans les conditions présentes, développer une stratégie de stimulation d’un nouveau tsunami social reposerait sur l’ignorance du rapport de forces objectif dans la réalité politico-sociale. Ce serait donc une erreur fatale pour l’opposition. L’approche doit viser à stimuler l’implosion qui s’exprime au sein même du régime dictatorial.
Au cours des derniers mois, nous avons assisté à une décomposition de la base sociale du régime Ortega-Murillo en raison de la détérioration du pouvoir d’achat des salarié·e·s, des fonctionnaires moyens et de l’appauvrissement des 177,000 retraité·e·s qui s’efforcent de survivre avec les 6,000 córdobas mensuels qu’ils reçoivent comme pension moyenne, alors que le panier alimentaire de base coûte 17,000 córdobas par mois (presque trois fois plus) et alors que l’inflation fait grimper les prix des services et des biens essentiels.
En outre, les données de la Banque centrale du Nicaragua (BCN) jusqu’en 2020 montrent qu’il y a environ 570,864 adultes de plus de 60 ans au Nicaragua. Cela signifie que 393,864 personnes âgées ne bénéficient même pas de ces prestations de sécurité sociale, une situation qui affecte la base même de la dictature.
Dans le même temps, nous assistons à un affrontement ouvert entre les militant·e·s historiques du sandinisme et les sympathisants de Murillo (la femme d’Ortega et vice-présidente). De cette manière, il est devenu évident que le processus d’IMPLOSION interne de l’un des piliers de la dictature continue de se développer.
A ce jour, le régime a réussi à maintenir sa base sociale proche en développant une stratégie d’allocation sélective d’avantages à ses gens, autrement dit l’impunité pour la corruption de ceux qui gèrent l’exploitation de l’or, du bois, la contrebande et ceux qui sont en relation avec le trafic de la drogue. En d’autres termes, la dictature a réussi à maintenir cette base sociale qui s’arrime sur ces avantages et ces bastions territoriaux.
Or, en 2022, les conditions changent: la capacité du régime à satisfaire tous les secteurs de sa propre base a été limitée suite à ses erreurs politiques, à la répression aveugle, y compris contre des partisans traditionnels, à son isolement international et à l’appauvrissement accru de la population précarisée, etc. Il y a ici des raisons qui ont permis au processus d’IMPLOSION, entamé depuis de nombreux mois, de devenir visible pour beaucoup de membres de l’opposition.
Maintenant, le rapport des forces ou la corrélation des forces est en faveur de l’affaiblissement de la dictature. Cependant, s’il y a une leçon à tirer pour la phase présente, c’est à quel point ces calculs peuvent être changeants et à quel point la conjoncture peut facilement se retourner contre nous si la véritable opposition n’adopte pas la stratégie de pousser à l’IMPLOSION et si elle continue à se comporter de manière irrationnelle sans réaliser l’unité contre la dictature. Ensemble, nous sommes la majorité, ensemble nous sommes plus forts. (Article publié dans la Revista Abril, le 17 avril 2022; traduction rédaction A l’Encontre).